mardi 22 janvier 2013

268 Interdiction de porter des jeans

J'ai l'interdiction de porter des jeans à la maison !

Si je ne respecte pas scrupuleusement cette consigne mon homme n'hésitera pas de me passer sur ses genoux. Et moi j'y trouve mon compte. Soyons caricaturaux. C'est l'essence même de la discipline domestique quand on la regarde à tête reposée. En fait le très raisonnable « cogito ergo sum » dont parles Descartes se fait narguer par les fantaisies de ses pulsions. Et non seulement il cède, mais en plus il essaye de donner quelques explications pour ne pas perdre sa face. Et justement « perdre la face » n'est pas une expression anodine. Elle indique en quelque sorte un riche souterrain fantasmatique qui invite le regard d'autrui de se tourne vers ce qui reste : par exemple... le côté derrière.

Se faire interdire un vêtement sous peine de punition, voilà encore une de ses « confidences isabelliennes» qui montre bien les aberrations de la discipline domestique. Aux yeux de certaines personnes il vaut mieux être une soumise qui s'abandonne aux exigences d'un vrai maître (avec un grand M) qu'une sotte Miss Vanille sous la tutelle d'un abominable macho en se faisant claquer les fesses pour un gâteau brûlé ou comme dans mon cas pour l'audace de se vêtir d'un jeans. Car n'oublions pas, notre soumise se soumet pour son bon plaisir, pour des révélations pas possibles sur elle-même, dans un noble but initiatique etc ...tandis que moi je suis sensée de ramper devant un patriarche à l'ancienne :

Au feu les jeans, ces horribles symboles des temps modernes ...

Hein oui, mon chéri. El le porte-jarretelles devrait être obligatoire pour les femmes !

Bon j’arrête. Mais cette petite introduction contient pas mal d'éléments qui n'échapperaient pas à un hypothétique observateur, placé derrière nos fenêtres. Alors oui, je pense qu'il se poserait à juste titre des questions sur mes motivations pour ce mode de vie. Comme moi je me poserais des questions sur sa présence sous mes fenêtres. Pas innocent ce petit plaisir d'observer une dame qui reçoit une éducation stricte comme au bon vieux temps, non ?

J’ai appris par mon homme que le jeans est arrivé seulement en fin de années soixante comme vêtement universel de la jeunesse en Europe. Il était associé à un nouveau style de vie et surtout à la liberté. A l’envie aussi de se dresser ostensiblement contre une société jugée trop rigide, ayant besoin d’un dépoussiérage. Un ami de mon homme m’a dit une fois :

Pour un jeune avant 68 rien n’était possible…

Porter un jeans c’était un affront au parents à un certain moment. Il fallait se battre pour le droit d’en porter. J’ai écouté des messieurs de la fin de cinquante qui racontaient des anecdotes sur leur adolescence. Ils planquaient un jeans dans leur cartable pour le mettre en cachette, une fois parti de la maison parentale. A l’école il y avait de remarques des profs. Parfois une interdiction d’en porter.

Je n’ai pas connu tout cela. Pour moi le jeans était le pantalon de mon père, de ma mère, de mes frères. Et le mien aussi. Il faisait partie de ma vie quotidienne. Quelle tristesse de devoir renoncer aux belles robes et jupes pour quelque chose si peu esthétique à mes yeux.Il faut dire que j’étais encore très petite quand Pasolini établissait un rapport entre la révolte de la jeunesse et son intérêt commercial. Écouter les Stones et Pink Floyd n’avait rien d’un renversement social pour lui, mais indiquait simplement un bon comportement de consommateur. Il fallait acheter un tourne disque et des disques avant tout. Et le plus souvent c’était payé avec les sous de papa et maman.

Pour ma part le jeans est associé - outre qu'à la canne - au strap américain, mi paddle mi morceau de ceinture qui est un instrument particulièrement cuisant. Mes fesses deviennent alors un lieu de bataille entre ancienne et nouvelle génération. Un vêtement de révolte mis en contraste avec à la rigueur d’antan et le traditionalisme. Et là, je vois plutôt le côté pratique. J’ai déjà reçu le strap sur un jeans. Cela fait nettement mon mal que sur un derrière tout nu et d'où l’effet dissuasif de menacer la dame de lui baisser son pantalon et par la prochaine fois...

9 commentaires:

  1. Si je recevais une fessée à chaque jeans porté... Et bien je ne pourrais plus m'asseoir.
    Quand au fait de considérer qu'il vaut mieux être une soumise par choix que d'accepter ce genre de règles... euh... Je me dis que chacun trouve ce qui lui convient, et qu'il serait malvenu d'en juger. Si ça vous va, et qu'en plus vous n'aimez pas les jeans, tout est parfait!

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    1. Je n'aurais pas dit mieux! Bizarrement, les jeux de fessée m'ont fait porter un peu plus de jupes (pour la donner), mais j'arrive aussi très bien à être autoritaire en jean! Après, pour le déculottage, on ne vantera jamais assez les mérites d'une petite jupe qui se retrousse. Sauf que, quand on donne la fessée à des garçons, on ne peut pas systématiquement les mettre en jupe.

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  2. @Latis : Disons que je me suis retrouvée personnellement confrontée à ce jugement. Ceci dit, rien ne vous échappe. Voila je n'aime pas les jeans sur moi, ce qui jette une autre lumière sur cette interdiction. En mode cocooning si je porte un jeans à la maison, j'adresse un message clair à mon homme : Donne-moi une fessée récréative. C'est donc une règle fort pratique. Voila la DD ce n'est pas forcement d'un sérieux à toutes épreuves. Cela peut glisser facilement aussi dans le ludique. Toutefois je porte des jeans dans pas mal de circonstances pour leur côté pratique

    @Constance: Je trouve qu'un jeans n'exclut pas une allure autoritaire. D'ailleurs mon homme ne porte que des jeans. Mais disons qu'il existe pas mal de vêtements que je lui interdis à la maison. Et il s'y tient, donc je m'y tiens aussi à ma part de marché.

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    1. Je ne suis pas interdit du jean du tout - mais pour notre jeu, il a au moins l'avantage d'être relativement moulant. Indépendamment de la pièce de vêtement dont il s'agit, le principe de l'interdiction reste très efficace.
      Ce qui est assez amusant, c'est la perception du jean. Évidemment, j'ai encore moins connu cette époque que vous, et le jean a toujours été pour moi une évidence, mais je crois que pour mes parents, le jean n'a jamais signifié la révolte. Tout au plus, l'aisance - dans le bloc de l'Est, il fallait surtout trouver moyen de s'en procurer un. C'était plus difficile qu'en France ou en Allemagne (de l'Ouest), mais d'autres choses étaient plus faciles - vers 68, mon grand-père était proviseur d'un lycée... il n'a jamais trouvé que les cheveux longs soient particulièrement subversifs.
      Je vais passer pour un épouvantable cuistre, mais je ne résiste pas: en fait le célèbre "cogito ergo sum" est une invention scolaire... qui n'est pas dans Descartes! Le Discours de la méthode est en français, donc c'est bien "je pense donc je suis" - qui est une formulation peu claire et qui induit en confusion. La version latine (plus claire, mais Descartes avait visiblement plus l'habitude de s'exprimer en latin) est dans les Méditations métaphysiques: "ego cogito, ego existo". Moins joli, mais justement, sans le "donc" - parce que ce n'est pas un raisonnement mais une expérience.
      Passons: pour revenir au sujet, j'aime bien la référence à Pasolini (j'aurais pensé plus facilement à Baudrillard)... C'est assez joli: la pratique d'un fantasme élaboré sur des éléments d'un ordre traditionnel comme façon de moquer une fausse rébellion...

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    2. Je ne le répète jamais assez, j'adore apprendre. Descartes serait-il un précurseur de l'existentialisme, car il semble effectivement selon cette version qu'il nous transmet une expérience personnelle. J'ai toujours cru que cela commençait par Kierkegaard. Enfin on me l'avait dit et j'ai bien enregistré.

      Ceci dit j'aime beaucoup retrouver un maximum des liens personnels qui rentrent dans la conception de mes fantasmes. C'est un peu comme un jeu de piste, moins futile que l'on puisse imaginer au premier abord. Pour vivre une relation de discipline domestique qui pour moi est un nom codé pour une relation qui satisfait efficacement un besoin de punition, il est important de soigner les détails. Sinon on risque de tomber dans une DD version anglophone ... disons très peu avantageux pour la dame...

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    3. C'est vrai que la version anglo-saxonne de la DD ne favorise pas la dame, et malgré quelques déclarations de principe ne semble pas faite pour elle. Je me demande si on ne retrouve pas ce que tu disais de la crainte de Dieu - ils ont quand même un bon fond puritain, les anglos, et leur référence à la tradition semble prise plus au sérieux que sur notre rive de l'Atlantique. Heureusement que la DD ne se réduit pas à ça.

      Pour ce qui est de Descartes, j'ai un peu de mal avec la notion d'"expérience personnelle", y compris chez les existentialistes. Mes souvenirs de Kierkegaard (qui en plus écrit bien, mais ça ne facilite pas toujours la compréhension: c'est vraiment un auteur difficile) sont un peu lointains, je ne vais pas risquer de dire des âneries. En tout cas, l'expérience de l'évidence ("claire et distincte") chez Descartes n'est justement pas personnelle - c'est le reproche, raté, que lui a même adressé Leibniz: son critère de vérité aurait été psychologique. Mais le doute méthodique de Descartes (pour trouver l'absolument certain, je fais comme si tout ce qui n'est pas absolument indubitable était faux) doit entre autres écarter tout ce qui est dû à la trajectoire individuelle (l'"infanticide" - il faut tuer l'enfant en soi). Sa propre existence s'impose comme évidence - c'est la lumière divine - dès que je ne peux plus remettre en doute que je pense; c'est une expérience et non un raisonnement, parce que "le souvenir de l'évidence n'est pas une évidence" - il faut que cette évidence soit toujours présente à l'esprit aux étapes ultérieures. Mais elle n'est pas personnelle à Descartes: on ne peut pas dire "il pense donc il est" - c'est une expérience qu'il faut faire soi-même. Les "Méditations..." portent bien leur titre - on ne peut pas les lire, il faut les faire; c'est une forme d'universalité.

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    4. Je crois que j'ai un texte qui pourrait t’intéresser Simon. Voici un petit extrait de la « Contribution à la psycholgie du doute» de Karl Abraham :

      Le mot " douter " ne figure pas dans l’hébreu des écrits bibliques

      Nous avons déjà mentionné que le mythe biblique de la création a tendance à attribuer au Dieu masculin et à l’homme toutes les réalisations et à réduire la femme à une signification accessoire. Cela correspond parfaitement au système patriarcal ou la puissance unique revient au chef masculin de la famille. Les femmes et les enfants lui appartiennent de même que ses biens vivants et inanimés.

      La sympathie du fils va originellement à la mère tandis que le père est l’objet de sentiments d’opposition et d’hostilité. Le renoncement à cette disposition est l’un des premiers effets du refoulement exigés par la culture.

      L’absence dans la langue hébraïque d’un mot pour désigner le doute pourrait être négligée comme un phénomène isolé sans intérêt particulier, si la même langue ne présentait pas une autre lacune caractéristique. Aucun mot qui signifiât déesse, alors que d’autres langues ont le vocable correspondant.
      On est tente de dire que le conflit du fils conditionné par sa position originelle hésitante entre père et mère est aboli, de même l’hésitation à savoir s’il faut vénérer un dieu masculin ou aussi une déesse est supprimée. Et la langue se comporte dorénavant non seulement comme si ce doute n’existait pas, mais comme si le doute en général n’existait pas dans l’âme humaine.

      Le mot " douter " est en relation avec le nombre " deux "

      Ce n’est que dans un document biblique tardif, le Psaume 119, que se trouve un mot qu’on a, semble-t-il, traduit à juste titre par " douteur ". Plus précisément, il signifie: « fendu ". De l’avis de spécialistes compétents, ce psaume date d’une période tardive, au cours de laquelle les influences helléniques se font sentir. Un autre mots de même signification se trouve dans la littérature hébraïque tardive. Il a peut-être originellement la même signification de partage, de l’être fendu. Il est très remarquable que la langue d’il y a plus de deux mille ans s’exprime comme la psychologie actuelle qui parle de Spaltung psychique. Ce terme montre, plus précisément que la désignation par doute (Zweifel) – lié à " deux " -, la contradiction interne de l’homme.

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    5. Merci pour cette référence, Isabelle! Je me souviens maintenant que tu y as déjà fait allusion.
      J'avoue qu'il me laisse un peu perplexe. Qu'on doute plus facilement dans l'univers mental grec que dans le contexte hébraïque, c'est certain. Et l'idée d'être partagé en deux ou fendu rend bien l'état psychique du doute.
      J'ai plus de mal à adhérer à la façon de procéder d'Abraham, qui fait de la position du fils au sein de la famille et de son hésitation entre le père et la mère la matrice de tout doute, et par la même occasion de la langue, sinon de la religion hébraïque. C'est une question des présupposés fondamentaux de nos disciplines: j'ai du mal à admettre une telle structure comme originelle et donc anhistorique; j'aurais tendance au contraire à voir le psychisme individuel comme déterminé par la structure sociale plus large.
      En tout cas, le doute dont parle Abraham n'est pas celui dont parle Descartes: ce n'est pas un état psychique qu'il combat, mais une question d'épistémologie. C'est un procédé de méthode qui vise la certitude en écartant temporairement tout ce qu'on ne peut considérer comme absolument certain, même en supposant que je rêve ou que le "Malin génie" surnaturel s'emploie à me tromper constamment. Il n'y a donc pas deux alternatives pleines.
      Quitte à suivre la direction d'Abraham, il y aurait peut-être une sorte de rejet du "père" identifié à la tradition et autorité des Ecritures, d'ailleurs plus pour s'affirmer soi-même qu'au profit d'une figure de mère. Mais à part que cette lecture serait très proche de ceux qui prétendaient dénoncer l'athéisme dans le cartésianisme (ce qui est faux, vu que le système de Descartes suppose la création continue, à chaque instant renouvelée, du monde par Dieu), elle n'éclaire pas vraiment les textes. Il faudrait plutôt aller vers Vico, qui critique l'"infanticide" (le meurtre de l'enfant, c'est à dire de tout le bagage acquis depuis l'enfance) chez Descartes qui ne laisse aucune place à la probabilité - critique qui permet de redonner une place à l'histoire, dont Descartes n'a rien à faire.

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  3. Abraham était un pionnier de la psychanalyse. Avec le recul je dirais qu'il parle de phénomènes de la rumination infructueuse, source de maladie et qui se distinguent pour moi du doute constructif qui inclut l'attitude critique. De l'autre côté il y a Descartes comme pionnier de la physique moderne. Voila donc deux côtés du doute : générateur de maladie et générateur de savoir... Puis il y a aussi le doute identitaire qui intervient dans certains fantasme de fessée!

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