mercredi 29 janvier 2014

464 A la recherche de la discipline domestique perdue 2


Faut-il battre sa maîtresse ? (Question de droit galant)

Manquant de temps en ce moment pour écrire, je signale tout simplement que ce texte fut à ma compréhension  transformé et mis au goût du jour en 1841. Voila qui montre que la discipline domestique était déjà un sujet de plus délicat à cette époque. Il est même possible de remonter cette « délicatesse » jusqu'en 1756, date à laquelle le texte d'origine fut établi. Cela s'appelait d'ailleurs :

« Dissertation sur Usage de battre sa maîtresse »

« Les femmes sont comme les côtelettes:
plus on les bat, plus elles sont tendres. »
, (Carlo Bertinazzi.)

Dissertation sur l’usage de battre sa maîtresse », in Mémoires de l’académie des sciences, inscriptions, belles-lettres, beaux arts, &c., nouvellement établie à Troyes en Champagne, vol. II, 1756

Ceci dit j'avais la version originale pendant longtemps dans mes archives, mais disons que son caractère trop "brut" m'a empêchée d'oser une publication. Bon, je vais alors continuer la version remédiée.


Le règne de François I apporte en France le premier exemple d'un soufflet appliqué par un amant à sa maîtresse, aussi l'a-t-on appelé le siècle de la Renaissance. Cent ans plus tard on en était revenu à toute la civilisation du temps d'Auguste. En Angleterre on voit aussi les mœurs se polir. Le célèbre jurisconsulte Francis Bracton publie un excellent livre dans lequel on distingue le chapitre ayant pour titre : « il y a certaines personnes sous la baguette (under the tod); telles sont les femmes. » A ce propos je me rappelle un fait curieux cité par un historien Anglais, Bracton ayant été consulté sur les proportions de la baguette, répondit gravement : qu'elle pouvait être de la grosseur de son pouce. De là chez le beau sexe de Londres une curiosité bien naturelle de connaître au juste la dimension du pouce de sir Bracton. En conséquence une députation de ces dames se présenta un beau matin chez lui; mais peu satisfaites sans doute du résultat de leur examen, elles saisirent l'illustre jurisconsulte, l'entraînèrent jusqu'à un étang voisin et l'y plongèrent à plusieurs reprises. Quoiqu'il en soit, le droit de la baguette, c'est-à-dire le droit de battre la femme aimée, ne commença à être contesté que sous le règne peu poli de Charles II.

Si nous repassons le détroit, nous voyons les Longueville et autres seigneurs de la cour du grand roi, ne pas se faire faute des galants procédés recommandés par Ovide et Catulle. Tant il est vrai que cet usage seul est capable de prouver le grand amour et de l'imprimer dans un cœur où l'on veut régner sans réserve. Et les coups que l'amour procure sont si délicieux à recevoir que quand la personne qu'on aime est élevée en dignité, elle ne permet pas qu'on l'en prive. On lit dans les mémoires du Cardinal de Retz: « Le duc de Buckingham, lors de son ambassade en France, disait à Mme de Chevreuse qu'il avait aimé trois reines et qu'il avait été obligé de les gourmer toutes trois».

Sous l'empire, le maréchal Ney a donné, dit-on, plus d'un coup de pied au derrière de la Contemporaine. Aujourd'hui, beaucoup d'élégants dandys, membres de Jockey-Clubs, qui portent cravache et n'ont point de chevaux, se servent de leurs cravaches sur les femmes qu'ils aiment. La Gazette des Tribunaux nous révélait, il y a quelque temps, une de ces scènes de la vie intime du dandy. Et les hommes ont tout à gagner à cela, car c'est encore une observation physiologique de toute vérité que les femmes sont ordinairement folles de ceux qui les battent.

...c'est d'après toutes ces autorités respectables que nous avons cru pouvoir traiter la question : Faut-il battre sa maîtresse? — Oui, dirons-nous, car l'usage d'accord ici avec le raisonnement doit faire loi. Il ne nous eut pas plus coûté de traiter en même temps de l'usage de battre son amant, et de réunir les deux questions de droit en une seule. Mais comme l'ingénieux Grosley, nous avons pensé qu'il était de la belle galanterie de céder en toutes choses aux dames le partage le plus avantageux.

Ici se présente à l'esprit de tous les penseurs, une autre grave question : A quoi tient ce vif sentiment des femmes pour les hommes qui les battent? Quelles mystérieuses causes peut-on assigner à ces paroxysmes de l'amour?

Pour des amants d'une certaine pruderie, neufs, timides, inexpérimentés, pour d'honnêtes bourgeois au cœur simple, sans excentricité, je conçois qu'il y ait là de quoi renverser toutes les idées qu'ils se sont faites sur l'amour; car le cœur de la femme, comme on l'a dit, est souvent une indéchiffrable énigme et l'amour aussi. Platon a merveilleusement deviné ces deux énigmes-là. Quand ce philosophe voyait un homme amoureux, il disait: « cet homme-là est mort à lui-même, c'est l’âme de sa maîtresse qui l'anime. Cela posé, dit avec beaucoup de sens le petit livre dont je vous ai parlé, « il n'y a plus à s'étonner de ce qu'une femme fait si aisément la paix avec l'amant qui vient de la battre, puisqu'en quelque sorte c'est elle-même qui s'est battue. Il est vrai qu'elle oublie cela dans l'instant qu'on la bat ; mais dès qu'elle a repris ses sens, elle s'en souvient et alors elle est attendrie et elle ressent un nouvel amour, plus vif encore, en voyant combien elle a de pouvoir sur son amant. »

Le célèbre Alibert, dans son beau livre de la Physiologie des passions, n'a certainement rien dit d'aussi profond. Voilà donc le grand mystère expliqué. Maintenant vous auriez beau vous révolter contre la doctrine active, ses preuves et ses bases sont là inébranlables, comme la nature même d'où elles dérivent. En effet, qu'est-ce que l'amour? c'est un sentiment de trouble, d'inquiétude, de fureur et d'exaltation qui s'empare de l'âme, la domine et la façonne à son gré. Or, quels sont les signes les plus certains de l'exaltation et de la fureur, sinon les coups? Plus un amant extravague plus il a l'esprit de son métier. Aimer et battre ne font qu'une chose, selon le mot profond d'Aristophane.

Et que faisait notre roi français, le plus galant des rois Henri IV ? La chanson nous le dit:

Ce diable à quatre 

A le triple talent 
De boire et de battre 
Et d'être un vert galant.


Battre qui ? je vous le demande, quand on est un vert galant!
Les grandes vérités sont populaires. Traversez le Pont Neuf, à Paris, vous êtes sûr de rencontrer, au pied de la statue du roi vert-galant, un marchand de joncs, qui, en vous offrant sa marchandise, vous criera:

Battez vos chapeaux, vos habits, vos canapés, 

Vos maîtresses, vos femmes, si vous en avez».


Un jour, ce distique frappa l'oreille d'un membre de l'Académie des Sciences morales, avec qui je cheminais sur le Pont-Neuf; je recueillis de lui ces notables paroles: « Si, comme les anciens l'ont établi, les amants ne sauraient se dispenser de battre leurs maîtresses, je ne crois pas que les maris soient tenus à la même conduite vis-à-vis de leurs femmes. »
Cet honorable membre de l'Académie des Sciences morales fondait son opinion sur le mot d'Aristophane, déjà cité, « qu'aimer et battre sont la même chose. »

CONCLUSION DERNIÈRE.

La conclusion dernière de tout ceci, Mesdames, c'est que l'esprit des poètes, des prosateurs, des penseurs, n'est souvent qu'un audacieux paradoxe, et que l'auteur de cet article ne croit pas un mot de ce qu'il vient d'écrire.

Source : Revue du Lyonnais ; 1841 ; J.Beliard

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