(Suite
de : A
la recherche de la discipline domestique perdue 1)
Faut-il
battre sa maîtresse ? (Question de droit galant)
Manquant de temps en ce moment pour
écrire, je signale tout simplement que ce texte fut à ma
compréhension transformé et mis au goût du jour en 1841.
Voila qui montre que la discipline domestique était déjà un sujet de
plus délicat à cette époque. Il est même possible de remonter
cette « délicatesse » jusqu'en 1756, date à laquelle le
texte d'origine fut établi. Cela s'appelait d'ailleurs :
« Dissertation sur Usage de
battre sa maîtresse »
«
Les femmes sont comme les côtelettes:
plus on les bat, plus elles sont tendres. »
, (Carlo Bertinazzi.)
plus on les bat, plus elles sont tendres. »
, (Carlo Bertinazzi.)
Dissertation sur l’usage de battre sa
maîtresse », in Mémoires
de l’académie des sciences, inscriptions, belles-lettres, beaux
arts, &c., nouvellement établie à Troyes en Champagne,
vol. II, 1756
Ceci dit j'avais la version originale
pendant longtemps dans mes archives, mais disons que son caractère trop "brut" m'a empêchée d'oser une publication. Bon, je vais alors continuer la version
remédiée.
Le règne de François I apporte en
France le premier exemple d'un soufflet appliqué par un amant à sa
maîtresse, aussi l'a-t-on appelé le siècle de la Renaissance. Cent
ans plus tard on en était revenu à toute la civilisation du temps
d'Auguste. En Angleterre on voit aussi les mœurs se polir. Le
célèbre jurisconsulte Francis Bracton publie un excellent livre
dans lequel on distingue le chapitre ayant pour titre : « il y a
certaines personnes sous la baguette (under the tod); telles sont les
femmes. » A ce propos je
me rappelle un fait curieux cité par un historien Anglais, Bracton
ayant été consulté sur les proportions de la baguette, répondit
gravement : qu'elle pouvait être de la grosseur de son pouce. De là
chez le beau sexe de Londres une curiosité bien naturelle de
connaître au juste la dimension du pouce de sir Bracton. En
conséquence une députation de ces dames se présenta un beau matin
chez lui; mais peu satisfaites sans doute du résultat de leur
examen, elles saisirent l'illustre jurisconsulte, l'entraînèrent
jusqu'à un étang voisin et l'y plongèrent à plusieurs reprises.
Quoiqu'il en soit, le droit de la baguette, c'est-à-dire le droit de
battre la femme aimée, ne commença à être contesté que sous le
règne peu poli de Charles II.
Si nous repassons le détroit, nous
voyons les Longueville et autres seigneurs de la cour du grand roi,
ne pas se faire faute des galants procédés recommandés par Ovide
et Catulle. Tant il est vrai que cet usage seul est capable de
prouver le grand amour et de l'imprimer dans un cœur où l'on veut
régner sans réserve. Et les coups que l'amour procure sont si
délicieux à recevoir que quand la personne qu'on aime est élevée
en dignité, elle ne permet pas qu'on l'en prive. On lit dans les
mémoires du Cardinal de Retz: « Le duc de Buckingham, lors de son
ambassade en France, disait à Mme de Chevreuse qu'il avait aimé
trois reines et qu'il avait été obligé de les gourmer toutes
trois».
Sous l'empire,
le maréchal Ney a donné, dit-on, plus d'un coup de pied au derrière
de la Contemporaine. Aujourd'hui, beaucoup d'élégants dandys,
membres de Jockey-Clubs, qui portent cravache et n'ont point de
chevaux, se servent de leurs cravaches sur les femmes qu'ils aiment.
La Gazette des Tribunaux nous révélait, il y a quelque temps, une
de ces scènes de la vie intime du dandy. Et les hommes ont tout à
gagner à cela, car c'est encore une observation physiologique de
toute vérité que les femmes sont ordinairement folles de ceux qui
les battent.
...c'est d'après toutes ces
autorités respectables que nous avons cru pouvoir traiter la
question : Faut-il battre sa maîtresse? — Oui, dirons-nous,
car l'usage d'accord ici avec le raisonnement doit faire loi. Il ne nous eut pas plus coûté de
traiter en même temps de l'usage de battre son amant, et de réunir
les deux questions de droit en une seule. Mais comme l'ingénieux
Grosley, nous avons pensé qu'il était de la belle galanterie de
céder en toutes choses aux dames le partage le plus avantageux.
Ici se présente à l'esprit de tous
les penseurs, une autre grave question : A quoi tient ce vif
sentiment des femmes pour les hommes qui les battent? Quelles
mystérieuses causes peut-on assigner à ces paroxysmes de l'amour?
Pour des amants d'une certaine
pruderie, neufs, timides, inexpérimentés, pour d'honnêtes
bourgeois au cœur simple, sans excentricité, je conçois qu'il y
ait là de quoi renverser toutes les idées qu'ils se sont faites sur
l'amour; car le cœur de la femme, comme on l'a dit, est souvent une
indéchiffrable énigme et l'amour aussi. Platon a merveilleusement
deviné ces deux énigmes-là. Quand ce philosophe voyait un homme
amoureux, il disait: « cet homme-là est mort à lui-même, c'est
l’âme de sa maîtresse qui l'anime. Cela posé, dit avec beaucoup
de sens le petit livre dont je vous ai parlé, « il n'y a plus à
s'étonner de ce qu'une femme fait si aisément la paix avec l'amant
qui vient de la battre, puisqu'en quelque sorte c'est elle-même qui
s'est battue. Il est vrai qu'elle oublie cela dans l'instant qu'on la
bat ; mais dès qu'elle a repris ses sens, elle s'en souvient et
alors elle est attendrie et elle ressent un nouvel amour, plus vif
encore, en voyant combien elle a de pouvoir sur son amant. »
Le célèbre Alibert, dans son beau
livre de la Physiologie des passions, n'a
certainement rien dit d'aussi profond. Voilà donc le grand mystère
expliqué. Maintenant vous auriez beau vous révolter contre
la doctrine active, ses preuves et ses bases sont là
inébranlables, comme la nature même d'où elles dérivent. En
effet, qu'est-ce que l'amour? c'est un sentiment de trouble,
d'inquiétude, de fureur et d'exaltation qui s'empare de l'âme, la
domine et la façonne à son gré. Or, quels sont les signes les plus
certains de l'exaltation et de la fureur, sinon les coups? Plus un
amant extravague plus il a l'esprit de son métier. Aimer et battre
ne font qu'une chose, selon le mot profond d'Aristophane.
Et que faisait notre roi français,
le plus galant des rois Henri IV ? La chanson nous le dit:
Ce diable à quatre
A le triple
talent
De boire et de battre
Et d'être un vert galant.
Battre qui ? je vous le demande,
quand on est un vert galant!
Les grandes vérités sont
populaires. Traversez le Pont Neuf, à Paris, vous êtes sûr de
rencontrer, au pied de la statue du roi vert-galant, un marchand de
joncs, qui, en vous offrant sa marchandise, vous criera:
Battez vos chapeaux, vos habits, vos
canapés,
Vos maîtresses, vos femmes, si vous en avez».
Un jour, ce
distique frappa l'oreille d'un membre de l'Académie des Sciences
morales, avec qui je cheminais sur le Pont-Neuf; je recueillis de lui
ces notables paroles: « Si, comme les anciens l'ont établi, les
amants ne sauraient se dispenser de battre leurs maîtresses, je ne
crois pas que les maris soient tenus à la même conduite vis-à-vis
de leurs femmes. »
Cet honorable membre de l'Académie
des Sciences morales fondait son opinion sur le mot d'Aristophane,
déjà cité, « qu'aimer et battre sont la
même chose. »
CONCLUSION DERNIÈRE.
La conclusion dernière de tout
ceci, Mesdames, c'est que l'esprit des poètes, des prosateurs, des
penseurs, n'est souvent qu'un audacieux paradoxe, et que l'auteur de
cet article ne croit pas un mot de ce qu'il vient d'écrire.
Source : Revue
du Lyonnais ; 1841 ; J.Beliard
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