mardi 13 janvier 2015

637 La discipline domestique en 1910

Un mari pas commode et surtout bien maladroit !

Le cœur et la main, c'est le titre d'une petite histoire, fictive je précise, qui parle de la discipline conjugale d'une autre époque. Elle provient d'un journal qui s’appelait : La vie en culotte rouge. Publié entre 1902 et 1912, il fut arrêté « suite aux attaques des milieux moralisateurs ». Je vous laisse découvrir ce joli récit.


Le cœur et la main

La blonde Babet, fille du garde-chasse et filleule de M. le marquis de Leslode, atteignait ses dix-huit ans lorsque, pour la première fois, elle croisa sur la roule le maréchal des logis chef de cuirassiers Roland Sabremin.

Celle vue fit dans le cœur de la fillette une impression durable. Roland avait près de deux mètres de haut, et son cheval, un colossal bourrin noir aux yeux de feu, était à l'avenant de l'écuyer. Babet était plutôt, de petite taille ; c'est pourquoi peut-être la Nature prévoyante, — désireuse d'obtenir des rejetons d'une grandeur moyenne, — la poussait secrètement vers ce géant casqué et barbe d'acier dont le plumet atteignait presque le premier étage de la maison lorsqu'il passait, avec un grand bruit de ferraille, sous les fenêtres du garde-chasse. Le vieux marquis de Leslode, célibataire, aimait beaucoup sa filleule , ayant deviné sa vocation pour le mariage en général et avec le sous-officier de cuirassiers en particulier, il se renseigna auprès du colonel et tout s'arrangea si bien que Babet épousa le cavalier de ses rêves.

Hélas ! La jolie enfant s'aperçut trop vite qu'à l'usage les cuirassiers sont moins agréables qu'à la vue. Roland sans être méchant était vif. A force de vivre avec des hommes et des chevaux, il avait contracté de violentes habitudes d'autorité. Or, celle sacrée petite Babet, tout en adorant au fond son grand diable d'époux, se plaisait à le taquiner et ne voulait en faire qu'à sa tête.

Le résultat fut prompt. A la première incartade de sa femme : Vlan ! Sabremin lui envoya une de ces gifles qui marquent dans la vie d'une épouse chrétienne. Par malheur, Roland n'avait pas, en châtiment, le sens des nuances. Sa paume heurta la joue fraîche de Babet avec la même énergie qu'elle eût atteint la croupe du grand bourrin noir aux yeux de feu.

Babet, du coup, tomba évanouie. Puis elle eut une attaque de nerfs. Elle garda ensuite la joue enflée pendant trois jours. Roland était, très embêté. Sa petite Babet, c'était le bonheur de sa vie. Mais il ne voulait pas qu'il fût dit que lui, Roland Sabremin, le premier dresseur du régiment, ne viendrait pas à bout de dresser son épouse chérie qui était haute comme trois pommes et qui prétendait faire la loi dans le ménage.

Il renonça donc à lui flanquer des gifles. Lorsque l'occasion s'en présenta, il l'empoigna solidement sous son bras gauche et lui administra une magistrale fessée comme certes Babet n'en avait pas reçu depuis son enfance au temps où le vieux marquis la corrigeait quand elle lui chipait les pèches de son verger.

La honte, plus que la douleur, suffoqua Babet tout d'abord. Puis elle se mil à pousser des cris perçants et à supplier son tortionnaire qui s'en donnait, si j'ose m'exprimer ainsi, à cœur joie.

Oh ! Roland ! que fais-lu là ! Ah ! aïe ! aïe ! Ça me brûle ! Non ! Assez ! Tu me cingles trop ! Pardon, mon petit mari, je. serai bien sage!

Roland répondit en lapant de plus belle :

Crie toujours ! Ça ne m'inquiète pas ! de ce côté-là du moins, je suis tranquille, ça ne te fera pas enfler les joues ! Elles sont assez rondes comme ça !

Sous le bras du cuirassier, Babet se tordait comme un ver coupé, mais pas de rire, je vous assuré. Elle poussait des soupirs à fendre l'obélisque et gémissait de temps à autre comme une petite fille bien soumise :

Pardon ! Pardon !

Enfin Sabremin remit sa mignonne épouse sur pieds. Elle courut bien vite s'enfermer dans sa chambre pour essuyer ses larmes et sans doute aussi pour se rafraîchir un peu les idées.

Les jours suivants, la jeune femme fut d'une docilité exemplaire. Par exemple, elle ne pouvait, regarder son mari en face sans rougir. Satisfait de sa méthode, il était enchanté au fond de ne plus avoir à sévir sur l'épiderme délicat de sa fragile moitié.

Pourtant, Babet retomba dans le péché. Elle désobéit. Roland, menaçant, marcha droit, sur sa femme. Elle lut dans les yeux du cuirassier le sort qu'il lui réservait. Sans force pour fuir, affolée par la pensée de subir l'humiliante correction, Babet se précipita aux genoux du terrible justicier pour implorer sa clémence.

Pour toute réponse, Roland saisit Babet par les poignets et l'entraîna dans la chambre à coucher, puis, ayant déshabillé sa femme, il l'attacha au pied du lit avec son ceinturon. Ayant pris sa cravache, il la fit cingler deux ou trois fois dans le vide, afin de se la mettre bien en main et de vérifier sa souplesse. Ensuite, il commença par en donner de petits coups à Babet sur les jambes. A chaque reprise, la cravache montait plus haut et frappait plus fort. Bientôt, de petits sillons rouges marquèrent sous la chemise transparente.

Babet poussait des cris déchirants. A chaque cinglade elle tressautait d'une façon agréable à voir.

La pauvre petite garda de cette séance mémorable un souvenir fâcheux. Elle conserva par la suite contre son mari une sourde rancune, mêlée, cependant de quelque admiration pour la solide poigne de son seigneur et maître.

Quant à la cravache, Roland eut la délicate pensée, — en ayant usé pour sa femme - de ne plus s'en servir pour les chevaux. Il la suspendit dans la chambre conjugale comme un trophée. Babet ne pouvait la voir sans qu'un intime frisson secouât tout son corps.

Un jour, le vieux marquis de Leslode, pénétrant à l'improviste chez sa filleule, la trouva le visage baigné de pleurs. Elle venait, encore une fois d'être corrigée par son mari bien-aimé.

Après des réticences et des soupirs, elle finit, par tout avouer à son parrain qui murmura, tandis que sur ses lèvres errait un discret sourire :

Smmove ( ? note isabelle), lictor, despolia, verbera, animadverte ! Puis il reprit à haute voix : Ma pauvre Babet ! C'est terrible ! Veux-tu divorcer?

Ah ! non, protesta Babet.

Je m'en doutais ! Alors, veux-tu me permettre de le poser quelques questions?

Avec plaisir, parrain !

Dis-moi d'abord, quel est ton parfum?

Mais... .le ne me parfume pas !

C'est un tort !... Veux-tu me faire voir les jambes?

Oh ! Parrain ! Que me demandez-vous là? s'écria Babet très scandalisée.

Nigaude! C'est, pour ton bien, si je le demande ça !

Rouge comme une cerise mûre, elle releva sa robe jusqu'aux chevilles

Plus haut ! dit le marquis.

Babet ferma les yeux et tourna la tète... Mais elle releva ses jupes jusqu'au dessus des genoux.

Elles sont jolies, les jambes, très jolies, s'exclama le vieux gentilhomme qui, en son temps, avait été un fin connaisseur en esthétique féminine ; seulement, tu n'es pas bien chaussée, et puis tu as un pantalon de petite fille. Allons, mets ton chapeau et viens avec moi en ville. Si tu suis mes conseils, je te garantis que lu n'auras plus rien à craindre pour ton...

Oh ! parrain ! protesta Babet.

Le lendemain, Roland rentra chez lui de fort méchante humeur. Mme Sabremin au contraire riait, à propos de rien, comme une petite folle. Cela irrita les nerfs du farouche sous-officier. Au premier prétexte, il attira sa femme, la courba en travers ses genoux et l'empoigna sous son bras gauche dans un geste qui lui était devenu familier. Ayant préparé les voies, il leva la main, battoir redoutable !

Mais un parfum très doux, subtil et pénétrant, émanant d'un fouillis de dentelles et de rubans, chatouilla ses narines. Oh ! surprise ! Babet avait un pantalon de linon à jour garni de rubans mauves et de volants. Elle agitait le plus coquettement du monde deux petits pieds mignons chaussés de hautes bottines lacées à bouts vernis. Ses jambes, aux mollets nerveux, étaient nues, car Babet portait seulement des chaussettes de soie.

A la.pensée du châtiment, succéda dans le cœur du cuirassier un immense besoin de tendresse et de pardon. Sa main s'abattit, mais sans frapper.

GEORGES LE MARDELEY.

3 commentaires:

  1. C'était vraiment la belle époque! Ça me rappelle des textes des Éditions parisiennes ou des Orties blanches. En revanche Je n'aurai pas réagi comme le fait ce solide gaillard. les froufrous, les jupons et les parfums auraient plutôt tendance à stimuler ma fureur vengeresse.

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  2. Je veux dire la "Belle époque" en tant que période, ce n'était pas forcément mieux.
    En tous à bas les gifles! c'est ce que finit par comprendre ce jeune mari impétueux. Et vive la fessée mais ça ce n'est pas la peine de le dire.

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  3. Comme vous, cher Monsieur Bertrand, j'ai été quelque peu dérangée par cette histoire de gifle. Déjà parce que pour moi donner une gifle est un acte réservé à la gente féminine quand un monsieur se montre trop insistant. Par contre je ne ferai pas long feu avec un homme qui oserait me gifler. J'aime beaucoup l'inégalité des sexes à ce niveau. J'avais même pensé pendant un moment de couper ce passage. Si, si je n'ai aucun scrupule de censurer ce qui me dérange. J'avais bien compris que vous parliez de la dite « Belle époque » qui n’arrête pas de m'émerveiller et que je découvre par le biais de publications anciennes.

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