Un
mari pas commode et surtout bien maladroit !
Le cœur et la main, c'est le titre
d'une petite histoire, fictive je précise, qui parle de la
discipline conjugale d'une autre époque. Elle provient d'un journal
qui s’appelait : La vie en culotte rouge. Publié entre 1902 et 1912, il
fut arrêté « suite aux attaques des milieux moralisateurs ». Je
vous laisse découvrir ce joli récit.
Le cœur et la main
La blonde Babet, fille du
garde-chasse et filleule de M. le marquis de Leslode, atteignait ses
dix-huit ans lorsque, pour la première fois, elle croisa sur la
roule le maréchal des logis chef de cuirassiers Roland Sabremin.
Celle vue fit dans le cœur de la
fillette une impression durable. Roland avait près de deux mètres
de haut, et son cheval, un colossal bourrin noir aux yeux de feu,
était à l'avenant de l'écuyer. Babet était plutôt, de petite
taille ; c'est pourquoi peut-être la Nature prévoyante, —
désireuse d'obtenir des rejetons d'une grandeur moyenne, — la
poussait secrètement vers ce géant casqué et barbe d'acier dont le
plumet atteignait presque le premier étage de la maison lorsqu'il
passait, avec un grand bruit de ferraille, sous les fenêtres du
garde-chasse. Le vieux marquis de Leslode,
célibataire, aimait beaucoup sa filleule , ayant deviné sa vocation
pour le mariage en général et avec le sous-officier de cuirassiers
en particulier, il se renseigna auprès du colonel et tout s'arrangea
si bien que Babet épousa le cavalier de ses rêves.
Hélas ! La jolie enfant s'aperçut
trop vite qu'à l'usage les cuirassiers sont moins agréables qu'à
la vue. Roland sans être méchant était vif. A force de vivre avec
des hommes et des chevaux, il avait contracté de violentes
habitudes d'autorité. Or, celle sacrée petite Babet, tout en
adorant au fond son grand diable d'époux, se plaisait à le taquiner
et ne voulait en faire qu'à sa tête.
Le résultat fut prompt. A la
première incartade de sa femme : Vlan ! Sabremin lui envoya une de
ces gifles qui marquent dans la vie d'une épouse chrétienne. Par
malheur, Roland n'avait pas, en châtiment, le sens des nuances. Sa
paume heurta la joue fraîche de Babet avec la même énergie qu'elle
eût atteint la croupe du grand bourrin noir aux yeux de feu.
Babet, du coup, tomba évanouie.
Puis elle eut une attaque de nerfs. Elle garda ensuite la joue enflée
pendant trois jours. Roland était, très embêté. Sa petite Babet,
c'était le bonheur de sa vie. Mais il ne voulait pas qu'il fût dit
que lui, Roland Sabremin, le premier dresseur du régiment, ne
viendrait pas à bout de dresser son épouse chérie qui était haute
comme trois pommes et qui prétendait faire la loi dans le ménage.
Il renonça donc à lui flanquer des
gifles. Lorsque l'occasion s'en présenta, il l'empoigna solidement
sous son bras gauche et lui administra une magistrale fessée comme
certes Babet n'en avait pas reçu depuis son enfance au temps où le
vieux marquis la corrigeait quand elle lui chipait les pèches de son
verger.
La honte, plus que la douleur,
suffoqua Babet tout d'abord. Puis elle se mil à pousser des cris
perçants et à supplier son tortionnaire qui s'en donnait, si j'ose
m'exprimer ainsi, à cœur joie.
— Oh ! Roland ! que fais-lu là !
Ah ! aïe ! aïe ! Ça me brûle ! Non ! Assez ! Tu me
cingles trop ! Pardon, mon petit mari, je. serai bien sage!
Roland répondit en lapant de plus
belle :
— Crie toujours ! Ça ne
m'inquiète pas ! de ce côté-là du moins, je suis tranquille, ça
ne te fera pas enfler les joues ! Elles sont assez rondes comme ça !
Sous le bras du cuirassier, Babet se
tordait comme un ver coupé, mais pas de rire, je vous assuré. Elle
poussait des soupirs à fendre l'obélisque et gémissait de temps à
autre comme une petite fille bien soumise :
— Pardon ! Pardon !
Enfin Sabremin remit sa mignonne
épouse sur pieds. Elle courut bien vite s'enfermer dans sa chambre
pour essuyer ses larmes et sans doute aussi pour se rafraîchir un
peu les idées.
Les jours suivants, la jeune femme
fut d'une docilité exemplaire. Par exemple, elle ne pouvait,
regarder son mari en face sans rougir. Satisfait de sa méthode, il
était enchanté au fond de ne plus avoir à sévir sur l'épiderme
délicat de sa fragile moitié.
Pourtant, Babet retomba dans le
péché. Elle désobéit. Roland, menaçant, marcha droit, sur sa
femme. Elle lut dans les yeux du cuirassier le sort qu'il lui
réservait. Sans force pour fuir, affolée par la pensée de subir
l'humiliante correction, Babet se précipita aux genoux du terrible
justicier pour implorer sa clémence.
Pour toute réponse, Roland saisit
Babet par les poignets et l'entraîna dans la chambre à coucher,
puis, ayant déshabillé sa femme, il l'attacha au pied du lit avec
son ceinturon. Ayant pris sa cravache, il la fit cingler deux ou
trois fois dans le vide, afin de se la mettre bien en main et de
vérifier sa souplesse. Ensuite, il commença par en donner de petits
coups à Babet sur les jambes. A chaque reprise, la cravache montait
plus haut et frappait plus fort. Bientôt, de petits sillons rouges
marquèrent sous la chemise transparente.
Babet poussait des cris déchirants.
A chaque cinglade elle tressautait d'une façon agréable à voir.
La pauvre petite garda de cette
séance mémorable un souvenir fâcheux. Elle conserva par la suite
contre son mari une sourde rancune, mêlée, cependant de quelque
admiration pour la solide poigne de son seigneur et maître.
Quant à la cravache, Roland eut la
délicate pensée, — en ayant usé pour sa femme - de ne plus s'en
servir pour les chevaux. Il la suspendit dans la chambre conjugale
comme un trophée. Babet ne pouvait la voir sans qu'un intime frisson
secouât tout son corps.
Un jour, le vieux marquis de
Leslode, pénétrant à l'improviste chez sa filleule, la trouva le
visage baigné de pleurs. Elle venait, encore une fois d'être
corrigée par son mari bien-aimé.
Après des réticences et des
soupirs, elle finit, par tout avouer à son parrain qui murmura,
tandis que sur ses lèvres errait un discret sourire :
— Smmove ( ?
note isabelle), lictor, despolia, verbera, animadverte !
Puis il reprit à haute voix : Ma pauvre Babet ! C'est
terrible ! Veux-tu divorcer?
— Ah ! non, protesta Babet.
— Je m'en doutais ! Alors, veux-tu
me permettre de le poser quelques questions?
— Avec plaisir, parrain !
— Dis-moi d'abord, quel est ton
parfum?
— Mais... .le ne me parfume pas !
— C'est un tort !... Veux-tu me
faire voir les jambes?
— Oh ! Parrain ! Que me
demandez-vous là? s'écria Babet très scandalisée.
— Nigaude! C'est, pour ton bien,
si je le demande ça !
Rouge comme une cerise mûre, elle
releva sa robe jusqu'aux chevilles
— Plus haut ! dit le marquis.
Babet ferma les yeux et tourna
la tète... Mais elle releva ses jupes jusqu'au dessus des
genoux.
— Elles sont jolies, les jambes,
très jolies, s'exclama le vieux gentilhomme qui, en son temps, avait
été un fin connaisseur en esthétique féminine ; seulement, tu
n'es pas bien chaussée, et puis tu as un pantalon de petite fille.
Allons, mets ton chapeau et viens avec moi en ville. Si tu suis mes
conseils, je te garantis que lu n'auras plus rien à craindre pour
ton...
— Oh ! parrain ! protesta Babet.
Le lendemain, Roland rentra chez lui
de fort méchante humeur. Mme Sabremin au contraire riait, à propos
de rien, comme une petite folle. Cela irrita les nerfs du farouche
sous-officier. Au premier prétexte, il attira sa femme, la courba en
travers ses genoux et l'empoigna sous son bras gauche dans un geste
qui lui était devenu familier. Ayant préparé les voies, il leva la
main, battoir redoutable !
Mais un parfum très doux, subtil et
pénétrant, émanant d'un fouillis de dentelles et de rubans,
chatouilla ses narines. Oh ! surprise ! Babet avait un pantalon de
linon à jour garni de rubans mauves et de volants. Elle agitait le
plus coquettement du monde deux petits pieds mignons chaussés de
hautes bottines lacées à bouts vernis. Ses jambes, aux mollets
nerveux, étaient nues, car Babet portait seulement des chaussettes
de soie.
A la.pensée du châtiment, succéda
dans le cœur du cuirassier un immense besoin de tendresse et de
pardon. Sa main s'abattit, mais sans frapper.
GEORGES LE MARDELEY.
Source : Bibliothèque nationale
C'était vraiment la belle époque! Ça me rappelle des textes des Éditions parisiennes ou des Orties blanches. En revanche Je n'aurai pas réagi comme le fait ce solide gaillard. les froufrous, les jupons et les parfums auraient plutôt tendance à stimuler ma fureur vengeresse.
RépondreSupprimerJe veux dire la "Belle époque" en tant que période, ce n'était pas forcément mieux.
RépondreSupprimerEn tous à bas les gifles! c'est ce que finit par comprendre ce jeune mari impétueux. Et vive la fessée mais ça ce n'est pas la peine de le dire.
Comme vous, cher Monsieur Bertrand, j'ai été quelque peu dérangée par cette histoire de gifle. Déjà parce que pour moi donner une gifle est un acte réservé à la gente féminine quand un monsieur se montre trop insistant. Par contre je ne ferai pas long feu avec un homme qui oserait me gifler. J'aime beaucoup l'inégalité des sexes à ce niveau. J'avais même pensé pendant un moment de couper ce passage. Si, si je n'ai aucun scrupule de censurer ce qui me dérange. J'avais bien compris que vous parliez de la dite « Belle époque » qui n’arrête pas de m'émerveiller et que je découvre par le biais de publications anciennes.
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