mercredi 1 avril 2015

680 L’infidélité punie par la fessée conjugale

Ce n'est pas un poisson d'Avril...

...mais une petite fiction sur l'infidélité conjugale punie par la fessée. Elle date de plus de 100 ans, du 19 février 1893 plus précisément et a dû égayer et donner matière à rêver aux amateurs de la fessée et lecteurs du journal « La Lanterne » ce dimanche-là. Un joli texte, subtil et fort en rebondissements. A vrai dire je ne m'attendais pas à la chute.


MIDI.... MINUIT....

On entendit sonner, à l'horloge de bronze : Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze.. (Victor Hugo)

Évidemment, Montbarrey avait eu une drôle d'idée de rapporter une horloge à sa femme, en revenant au château de Serigny, après sa cure à Luchon. Et si vous me demandez pourquoi l'idée était drôle, je vous dirai que l'horloge était en bois très finement sculpté, ornée d'un balcon circulaire, avec des motifs représentant un chamois dans la montagne, et qui, suspendue dans la salle à manger, faisait très bon effet sur les toitures en peluche vert amande.

-Alors?.

-Alors, je suis obligé de continuer la description et de vous dire qu'à midi sonnant sortait de derrière le cadran un petit bonhomme qui, armé d'un bâton, arrivait par le côté cour sur le balcon. A la même heure, arrivait également sur le balcon, une petite bonne femme par le côte jardin. Tandis que l'horloge tintait ses douze coups, le petit bonhomme revenait sur le balcon avec la petite bonne femme, et alors la haine se changeait en amour. Il ne frappait plus son épouse avec son bâton —oh non — il lui témoignait, au contraire, sa tendresse d'une manière indiscutable, virile et toujours flatteuse pour une petite bonne femme en bois. Et tandis que la pendule sonnait à nouveau ses douze coups, le petit bonhomme besognait en cadence, de la plus gaillarde façon du monde.

Quand je vous disais que cette horloge était merveilleuse et que Montbarrey avait eu une drôle d'idée. Maintenant, je dois ajouter, en historien véridique, qu'à minuit, la salle à manger était toujours déserte et que, par conséquent, personne ne voyait jamais le deuxième tableau. La jolie Sylvanie Montbarrey —une sainte créature devant l’Éternel — était donc persuadée qu'il n'y avait qu'un tableau et, dans la naïveté de son âme, elle avait trouvé très drôle cette petite fessée conjugale qui ne dépassait en rien les limites de la plaisanterie permise entre gens non ennemis d'une douce gaieté.

Quant à Montbarrey — vous ai-je dit que c'était un vieux polisson ? — non, je me hâte de réparer cet oubli et de vous dire qu'il était un vieux polisson — il connaissait le mécanisme, lui, et alors, sous un prétexte futile, orange à chercher pour apaiser la soif, fringale à satisfaire, etc., etc. : souvent il se dirigeait avec sa bougie vers la salle à manger sur le coup de minuit moins quelques minutes, et alors, secoué par.les transports d'une joie convulsive, il assistait aux amours suggestifs du petit bonhomme et de la petite bonne femme. Décidément, il ne regrettait pas l'argent dépensé, et l'on travaille très bien à Luchon. Ainsi mis en gaieté, il était rare que Montbarrey rentrât dans sa chambre déserte ; instinctivement, machinalement, il prenait le chemin du nid où reposait Sylvanie, et celle-ci, admirant en elle-même la régularité pneumatique de son mari, avait remarqué que c'était toujours à minuit cinq — pas a minuit dix, pas à minuit un quart, encore moins à minuit et demi — mais à minuit cinq précises que son mari était lé plus aimable.

Bien entendu, Montbarrey ne confiait à personne le soin pieux de cette pendule utile et agréable, — agréable et utile, et tous les huit jours il la remontait avec une régularité qu'aucun événement n'était jamais venu déranger. Car, au fond, ainsi que je vous l'ai expliqué tout à l'heure, cette horloge réglait un tas d'exercices dans cet intérieur patriarcal.

Malheureusement, ou heureusement, — cela dépend du point de vue — notre châtelain fut obligé de partir pendant quelques jours en déplacement de chasse, et craignant que Mme de Montbarrey ne s'ennuyât, il pria le cousin Bertrand, de venir parfois déjeuner avec elle afin de lui tenir compagnie. Et le cousin Bertrand accepta avec joie, parce qu'il avait toujours trouvé que Sylvanie, en dépit de ses principes austères, était une créature fort désirable. Vous ai-je dit que le cousin Bertrand était un vieux polisson? Il y a comme cela certaines vertus qu'on retrouve à l'état héréditaire chez tous les membres d'une même famille. C'est ce que les savants appellent l'atavisme.

Or, un matin que le cousin Bertrand devait venir déjeuner, le valet de chambre François s'aperçut tout à coup que l'horloge, la fameuse horloge qui réglait tout dans la maison s'était arrêtée la veille au soir à neuf heures. Ah! l'on voyait bien que Monsieur n'était plus là! Le fidèle serviteur s'empressa de remonter la pendule, et de la remettre en mouvement, puis il acheva de dresser son couvert avec la satisfaction ,du devoir accompli.

A onze heures, suivant la coutume de notre vieille Normandie qui encore garde ainsi quelques usages de nos pères — ces géants — Bertrand arrivait, et s'asseyait côte à côte avec Mme de Montbarrey pour déguster avec elle en tête à tête la côtelette de l'amitié. Ah ça, qu'est-ce qu'il avait donc ce matin-là le cousin Bertrand ? Peut-être songeait-il que Montbarrey devait revenir le soir même et que, par conséquent, il fallait, pendant ce suprême matin, brûler ses vaisseaux. Je ne sais, mais il paraissait beaucoup plus émoustillé que d'habitude, cherchant sous la table le petit pied de sa cousine, effleurant le genou, tant et tant que le domestique François — vous ai-je dit que le domestique François était aussi un vieux polisson, en vertu de l'adage tel maître, tel valet — crut de son devoir de ne plus paraître dès le dessert, si bien que les audaces du convive ne connurent plus de bornes.

-Mon cousin, disait la pauvre petite Mme Montbarrey, très effarouchée de ces attaques ; mon cousin, prenez garde, si vous continuez, je vais être obligée de vous infliger le même traitement qu'à la petite bonne femme de mon horloger.

-Mais quel traitement, ma cousine ?

-Vous verrez cela sur le coup de midi, vous verrez !

Et elle jeta un regard vers le cadran, qui marquait midi moins quelques minutes, et songea en souriant à la bonne correction qui allait être administrée sur le balcon, ce qui sans doute suffirait pour servir de leçon à l'impétueux Bertrand, et le ramener à une juste compréhension des convenances sociales. Tout à coup, au moment où Bertrand fourrageait de plus belle dans les mèches d'une petite nuque qu'on défendait le plus vertueusement possible, le premier coup de midi sonna à l'horloge.

-Regardez ! s'écria Mme Montbarrey triomphante.

Bertrand regarda. Mais à la vue de ce tableau, au moins inattendu, Mme Montbarrey poussa un cri et devint pourpre, tout en fixant le balcon avec des yeux effarés et se demandant si elle était le jouet d'une hallucination. Mais qu'est-ce qu'il faisait donc le petit bonhomme en bois ? Mais qu'est-ce qu'il faisait donc, au lieu d'administrer la correction à la petite bonne femme?

Mais le cousin, très égayé par la vue de ce groupe. sympathique, s'écriait triomphant.

-Ah! cousiné, cousine, vous m'avez promis de m'infliger le même traitement qu'à la petite bonne femme! C'est vous qui l'avez juré!

Pendant ce temps, l'horloge en bois sonnait midi en un tintement prolongé. Et quand François, un peu gouailleur, fit une rentrée timide dans la salle à manger, après avoir longtemps tracassé la serrure, le petit bonhomme était rentré par le côté cour, la petite bonne femme par le côté jardin et Mme Montbarrey, très rouge, très décoiffée, était assise à une distance invraisemblable du cousin Bertrand qui lissait ses moustaches d'un air rêveur et un tantinet abruti.

» »

Le soir, Montbarrey revint de la chasse, et après s'être retiré un moment dans ses appartements, et avoir endossé une coquette chemise de soie à bouquets pompadour, il songea tout à coup qu'il était absent depuis cinq jours, et que c'était le cas ou jamais d'aller voir son horloge. Il prit donc sa bougie et se dirigea vers la salle à manger. Précisément, minuit allait bientôt sonner.

En effet, au premier coup, le petit bonhomme réapparut avec sa femme sur le balcon. Mais au lieu des transports de tendresse auxquels s'attendait Montbarrey il assista à une fessée beaucoup moins suggestive et qui le mit dans une rage épouvantable.

-Ah ! Sylvanie a osé toucher à ma pendule, s'écria-t-il. Eh bien, elle va voir ! Et cédant comme jadis à la contagion de l'exemple, il rentra exaspéré dans la chambre conjugale et administra à sa femme, bourrelée de remords et pétrifiée par l'angoisse, une magistrale correction.

-Ah, mon ami, lui dit-elle, entre deux sanglots ; je n'y comprends plus rien, c'est le monde renversé ; pourquoi diable as-tu changé de rôle avec le bonhomme de l'horloge? 

Richard O'Monroy.

8 commentaires:

  1. Bonjour Isabelle,

    C'est très juste. La fin du texte reste inattendue. Pas mal le coup des personnages de l'horloge qui est un peu comme les automate sonneurs dans une célèbre horloge d'une grande ville de province. Remarquez: on pourrait changer la position et l'instrument pour chaque jour de la semaine : "the Spanking Clock" ! Of course, sir !
    Côté cinéma, le thème de l'épouse (et l'époux ? Rires) infidèle a été joué également, me semble t-il. Cf aussi la pièce de théâtre : "La fessée" avec Marco Perrin et une autre comédienne. Un beau programme, en effet.
    Mac-Miche

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  2. Si l’infidélité n'existait pas, il faudra l’inventer, cher Monsieur Mac-Miche. Combien d'œuvres d'art de toute sorte dédiées à cette "activité humaine". Je crois que seul dans la fessée et surtout dans les rencontres pour on trouve un moralisme de rigueur qui châtie plus ou moins sévèrement ceux et celles qui devient du bon chemin... rire !

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  3. Bonjour,
    Ah l'infidélité, aujourd'hui, nous en parlons presque avec tendresse dans notre couple, mais madame a connu de très cuisantes fessées à cause de cela.
    Milu

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    1. J'aime beaucoup l'idée de l’infidélité punie par la fessée...

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  4. Ce n'était pas de l'infidélité à proprement parler mais je me rappelle, plus jeune, avoir laissé traîner mon regard sur des jeunes femmes de façon tellement visible que mon épouse s'en est aperçu.

    Elle m'a fessé une fois rentrés à la maison.
    (Ça l'avait visiblement émoustillée parce qu'après la fessée elle m'a chevauché.)

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    1. Comme d'habitude je me joins au bon sens de votre dame.

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  5. Bonjour Mr Pecan,

    Je comprend votre épouse. La peur de perdre l'heureux élu de son cœur a fait resurgir le réflexe de "défense conjugal", vieux comme le monde qu'on appelle jalousie. Mais regarder n'est pas tromper. Cependant ce sursaut d'orgueil (?) a permis de mettre du piquant... dans votre couple. On n'aime pas perdre ce que l'on a chèrement cherché dans l'existence. Non ? Vieille ruse, en somme.
    Bonne fête de Pâques. Mac-Miche

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  6. Certes regarder n'est pas tromper. Mais pour s'attirer ma colère parfois il suffit moins que cela. Heureusement mon chéri n'a rien d'un coureur...

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